vendredi 19 septembre 2008

De Siné aux crimes dans la Shoah…, par Jean-Jacques Moscovitz

Texte repris du site de David Genzel

"Siné a à rendre raison de son "Qu’ils meurent !" proféré à l’encontre des juifs en 1982 [1], il le doit à des millions de disparus.

Pas plus que n’importe qui, les juifs n’ont à expliciter l’antisémitisme, l’anti-judaïsme, ou encore l’anti-sionisme. C’est aux auteurs de tels propos, de tels actes écrits à en dire leurs raisons, ce qui implique qu’ils disent les avoir dits, et d’où ils proviennent. C’est là une nécessité éthique minimale à tout débat possible sur de tels enjeux, c’est l’exigence que tout débat se supporte d’un tel pacte de fonds au départ. Car l’antisémitisme quel qu’il soit, avoué ou non, su ou non, peut être le prélude à bien plus grave, chacun le sait aujourd’hui.

Quand Siné donnera-t-il ses raisons, celles qui le concernent, lui qui, dans sa violence inscrite dans ses propos sur le mariage d’une femme juive avec le fils Sarkozy, lance qu’il préférerait "une musulmane en tchador" à "une juive rasée" [2].

Le conflit médiatique au sein de Charlie Hebdo, le journal dirigé par Ph. Val, est ici dépassé. Un tel débat sur de telles questions l’est aussi, car il y a là fracture, attaque du fonds de ce pacte radical sans quoi dés lors tout est grave, immensément.

A suivre ce fil, se révèle qu Il n’y a, en effet, nul "besoin des outrances de Siné" comme l’avance Mr Laclavetine dans Le Monde du 1er août [3], où il voit ainsi l’affaire Siné : "Et si les remous de l’affaire qui secoue Charlie Hebdo étaient révélateurs du conformisme de nos sociétés, sidérées par le poids grandissant des communautarismes ? Une atmosphère étouffante qui explique le soutien qu’a reçu le dessinateur ?" … Pour mieux respirer souligne donc le défenseur du caricaturiste. Ne vaudrait-il pas mieux qu’il s’écoute d’abord lui-même dès lors qu’il conclut son texte d’un "Ouvrez ! on étouffe ici !" ? Serait-ce là encore quelque maladresse, un oubli se levant à son insu et s’adressant à ceux morts asphyxiés dans les chambres à gaz d’Auschwitz… ? Je pose la question. Le film ‘L’œuf du Serpent’ de Bergman ne s’en retrouvera que plus actuel…

Oui, un pacte de fonds est à accepter pour permettre ensuite un débat car la maladresse ici guette à tout instant [4], et il convient de la reconnaître, oui, car sinon tout est possible à nouveau, il y a toujours urgence de le dire. Preuve en est ces propos de Siné - et ses excuses auprès de la Licra, vaines à l’évidence désormais- lors de l’attentat en 1982, rue des Rosiers jetés sur les ondes de Carbone 14 : "je suis antisémite et je n’ai plus peur de l’avouer, je vais faire dorénavant des croix gammée sur tous les murs… je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est propalestinien. Qu’ils meurent !" [5].

Si qualifier de maladresses des propos comme ceux de Laclavetine, permet de repérer des dérives antisémites, ici, dans l’exemple de Siné le moment de la maladresse (!) est déjà largement dépassé, car avoué, il est désormais symptôme, une organisation fixée. Les propos de Siné sont de l’ordre du symptôme. De quoi ? d’un profit non élaboré, d’une jouissance sue ou non, venue du collectif européen des années 40 et aujourd’hui plus ou moins organisée en discours antisémite, raciste, de haine de masse…

Un tel symptôme signe souvent une absence de prise en compte d’éléments propres à la filiation personnelle, aux discours familiaux non élaborés…

C’est dans de tels passages de non dits/mal dits entre espaces du collectif et dimension de l’individu que se produisent des dérapages, qui peuvent nourrir bientôt le pire chez d’autres. Repérés ils permettent une cessation possible de tels symptômes si celui qui en est porteur accepte de les prendre en charge.

Par pire, entendons que des propos comme ceux de Siné peuvent servir à certains dans un usage pervers de jouissances erratiques post génocidaires directement venues des camps nazis. Son "Qu’ils meurent !", outre qu’il indique combien le meurtre de masse est source de telles jouissances à la portée politique de grands et petits délinquants, mais aussi qu’il y a là un vœu de meurtre infiniment caché bien qu’avoué puisqu’il a fallu plus de 25 ans pour le désigner enfin (1982-2008).

Ainsi voit-on que telle ou telle maladresse (!) à propos de la haine des juifs, comme allant de soi encore de nos jours, peut faire début du pire. D’abord symptôme chez certains , elle peut entraîner chez d‘autres une organisation politique perverse du lien à autrui. Puis, saut qualitatif à dire pour conclure -ce n’est pas le cas pour quiconque dans " l’affaire Siné" - le politique un jour ou l’autre peut s’emparer de ces prémisses, pour construire un mensonge de façon voulue, voilà le ‘négationnisme’ ; total ou partiel , il est puni par la loi Gayssot. Pourquoi ? Parce qu’il est inhérent aux meurtres de masse ; il les indique avant, pendant et après les crimes.
Jean-Jacques Moscovitz
(Psychanalyste)"

[1] Cf : infra in "Pour Philippe Val, Charlie Hebdo et quelques principes. Des intellectuels estiment intolérable de voir Siné transformé en martyr de la liberté d’expression".
[2] Cf. Le Monde du 21.07.08 in l’article de Bernard-Henri Lévy "De quoi Siné est-il le nom ?".
[3] Cf. Le Monde du 01.08.08 in les Débats p.14 l’article de J-M. Laclavetine : "Nous avons besoin des outrances de Siné".
[4] Cf. le rectificatif de L. Joffrin in nouvelobs.com du 28. 07. 08.
"Tout est là, l’association du juif, de l’argent et du pouvoir dans une phrase qui stigmatise l’arrivisme d’un individu", affirme le directeur de Libération. Il reconnaît par ailleurs que "l’apparition du mot 'race' dans un texte antiraciste n’est pas heureuse", à propos de son article du 25.07.08 dans Libération.

[5] Ibid note 1.

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